samedi 8 septembre 2007

Bat-ponque



Hop, "réouverture" du blog. Ou plutôt réapprovisionnement compte tenu que l'inspiration s'était fait la malle faute d'envie et de matériel. Mais la rentrée bd a commencé alors rentrons dans le vif du sujet dès maintenant.
Paul Pope est un gars doué. Ce type dessine et scénarise dans son coin depuis un bon moment, c'était un des plus jeunes artistes à percer dans le milieu du comics "underground" (ou small press) et il s'est bien vite fait remarquer par l'industrie. Il mélange à merveille les styles européen, manga et comic pour développer une identité graphique tout à fait atypique. Bref il a plein d'influences, il fait sa cuisine et la sauce prend diablement bien. J'ai commencé à le lire avec Escapo, édité chez Vertige Graphics en France. Cela fait un moment que je connais son nom mais je viens tout juste de pénétrer dans son univers et je compte bien l'explorer encore davantage (son Heavy Liquid va être édité par Dargaud en octobre).
L'oeuvre que je critique aujourd'hui est sans aucun conteste un des comics que j'attendais le plus ces derniers mois. Batman Year 100 (Batman Année 100 chez nous, édité par Panini, bientôt en vente). Batman en 2039 (soit cent ans après sa création par Bill Finger et Bob Kane), dans une Gotham futuriste mais pas tant que ça, différente mais pas vraiment, un Batman vu par un artiste iconoclaste. L'idée brillante est de sortir le personnage de son contexte habituel des séries classiques qui n'en finissent pas. Ici l'histoire a une fin et se suffit à elle même. En termes techniques on appelle ça une mini série, au passage.
Et puis il y a la phrase de Paul Pope qui déclare que son Batman est une "American response to V For Vendetta" (oeuvre majeure d'Alan Moore et David Lloyd qui a changé ma vision de la vie, si si). Bien sûr je n'ai pas complètement pris cette description au premier degré, venant de la part de Pope ça m'aurait étonné quand même. Il n'empêche qu'il n'y a pas de fumée sans feu donc j'allais ouvrir les yeux.

Batman Year 100 est avant tout un régal pour les yeux. L'auteur se déchaine et imprime sa marque sur le personnage et son environnement. Le mélange sauvage des influences crève les yeux, ici des vaisseaux dans le plus pur style manga, là une Gotham dont les ruelles empruntent à la bd européenne, il y a du Hugo Pratt, du Jack Kirby, il y a tout et tout fonctionne. C'est punk, gras, sale, humide, nerveux mais aussi merveilleusement fluide, tout à l'épure et à l'essentiel. La mise en scène met le mouvement à l'honneur sans pour autant se priver de quelques poses bien emblèmatiques (pour qu'on puisse apprécier la façon dont il a redesigné le costume du Batman). Il glisse au passage quelques petites références incontournables de l'identité graphique de Batman, soulignant ainsi à quel point il réinterprête le mythe tout en gardant des points de repères. Points de repères qui se transforment en clins d'oeil facétieux pour ce qui reste avant tout un personnage de papier.
Durant 200 pages ce Batman devient son jouet et il magnifie, comme peu ont réussi à le faire, le fait que Batman n'est pas qu'un super héros comme les autres mais bien une icone pop à part entière. Tout le monde connait Batman, dès lors on peut le décliner à toutes les sauces pour mieux faire ressortir son essence. Paul Pope dessine donc un Batman punk, félin, dégingandé, humain (il saigne, souffre et doit reprendre son souffle) mais aussi fantasmatique, irréel, grotesque et terrifiant. Jeux de fumée, de masque et de cape, effets pyrotechniques, gadgets, rien ne manque. C'est juste beau à se damner, unique et envoûtant. On en redemande des interprétations comme ça. Voilà ce que devrait être les comics super héroïques, des variations/déclinaisons, des histoires indépendantes, des terrains de jeu avec carte blanche pour les auteurs.

La partie scénario maintenant. Force est de le reconnaitre ça ne boxe pas dans la même catégorie que Vendetta (mais comme dit plus haut, ne prenons pas trop cette déclaration au sérieux). Il est un peu regrettable que Pope n'ait pas travaillé avec un scénariste aussi dingue que lui car si il assure niveau graphique, il n'obtient pas le même résultat dans l'écriture. C'est de facture classique, sans rebondissements ni trouvaille de génie. Complot gouvernemental et chasse à l'homme, minimum syndical quoi. C'est d'autant plus dommage qu'une histoire plus osée aurait complétée à merveille une oeuvre qui avait tout pour rentrer au panthéon des meilleurs comics de super héros. Il y a des idées sympathiques quant à la façon dont le Batman se met en scène et surtout un aspect fantastique vraiment intéressant (je n'en dis pas plus mais Pope aime jouer sur les frontières entre réel et légende). Regrettable donc que rien ne décroche la machoire de façon structurelle, juste de fugaces éclairs qui ne concernent que la forme et pas vraiment le fond.
Pour donner une idée on est dans la veine d'un Dark Knight de Frank Miller (il y a d'ailleurs une influence graphique, notamment sur le design grotesque des flics) mais sans le côté jusqu'au boutiste, un peu comme si Pope restait le pied sur le frein (ou plutôt ignorait comment passer la vitesse supérieure). Dans le domaine de la variation autour d'un super héros, Mark Millar avait livré quelque chose avec une réelle valeur ajoutée dans Superman Red Son (la fusée de Superman s'écrase en Ukraine au lieu du Kansas, imaginez l'icone américaine par excellence élevée par le régime soviétique...).

Pour conclure c'est quand même quelque chose à lire, une vision folle et unique, une histoire de super héros/légende urbaine pour adultes de qualité. Dans le top 3 des meilleurs albums sur Batman.