dimanche 8 juillet 2007

Darkseid of The Moon (© Hellboy)



Aujourd'hui, on parle de la plus grande saga jamais engendrée dans la culture populaire. Marthy fais chauffer la Dolorean, nous voici revenu dans les années 70. A cette époque, Marvel (Spider-Man, les 4 Fantastiques, Hulk, Daredevil....) et DC (Superman, Batman...) les deux plus grosses compagnies de comics se livrent une bataille acharnée pour conquérir le lectorat (composé alors, époque bénie, d'enfants voire d'adolescents). Et c'est dans ce climat que Jack Kirby claque la porte de Marvel pour aller chez la concurrence. Là, comme ça à froid, ça ne te parle peut-être pas beaucoup à toi ami lecteur mais faut quand même savoir que le bonhomme, en plus d'être un génie absolu en terme de narration graphique, était aussi le créateur ou co-créateur de personnages comme Captain America, les X-Men, les 4 Fantastiques, Hulk, le Surfer d'Argent... (et il a pour ainsi dire conçu le costume de Spider-Man). Bref, une pointure. Le voilà donc chez DC, où il a les mains libres. Je résume vite l'histoire (hélas car elle est intéressante et emblèmatique de ce qui se passait à l'époque) et bref il se retrouve à dessiner et scénariser 4 séries : Jimmy Olsen Superman's Pal (une série dérivée sur ce boulet de Jimmy Olsen, le pote de Superman qui a toujours le chic pour se trouver dans des situations à la con), The Forever People, The New Gods et Mister Miracle. Et il va tisser des liens entre ses différentes séries pour au final créer un univers cohérent et entièrement nouveau : le Fourth World (personne ne sait pourquoi ça s'appelle comme ça).
Chaque série traite plein de thèmes différents, c'est l'occasion pour Kirby de développer toute une batterie de concepts bien barges. Des hippies à moto, une autoroute magique qui conduit à un complexe gouvernemental secret sous la terre où l'on clone des gens, ça c'est pour
Jimmy Olsen Superman's Pal. Un tricycle qui se téléporte un peu partout et des jeunes qui peuvent fusionner pour faire place à un être supérieur issu d'une dimension spéciale avec The Forever People. Un artiste de l'évasion équipé d'un ordinateur vivant qui l'aide à tromper la mort à chaque fois qu'il s'échappe de pièges diaboliques c'est Mister Miracle. Sans compter l'Astro Force, les Boom Tubes et autres Mother Box...
Et enfin ma série favorite, celle qui structure toute la mythologie : The New Gods (
édité par Bethy il fut un temps, si tu peux te procurer l'album, saute à pieds joints sans hésiter) L'histoire de deux planètes jumelles mais antagonistes : Apokolips et New Genesis. L'enfer et le paradis, l'une gouvernée par le tyran Darkseid à la face de pierre, l'autre dirigée du haut de la cité volante par le High Father, le père spirituel à la barbe blanche. Et au milieu, Orion, le fils maudit qui combat pour New Genesis, porteur d'un terrible secret et pariah volontaire de sa planète. Sans oublier toute la gallerie de personnages secondaires, Lightray au coeur léger, frère d'arme d'Orion, le Black Racer, Forager le héros des Bugs, ces créatures méprisées par les Dieux qui habitent sous la surface de New Genesis... Et puis les méchants, hauts en couleurs et terrifiants, les bougres.

Exposé succintement comme ça, ça peut paraitre manichéen et simpliste (le bien versus le mal, blabla...). Il n'en est rien. Le personnage d'Orion à travers son rapport à la guerre et ses relations avec le High Father est complexe, son histoire est une véritable tragédie grecque (au sens où on sait ce qui va se passer et qu'on ne peut qu'assister impuissants à l'inévitable) et les Bugs sont là pour rappeler que tout n'est pas si rose que ça au "paradis". Le tout est orchestré à la perfection par Jack "The King" Kirby : force du trait, mise en scène wagnerienne, explosive, c'est du concentré de puissance visuelle directement injectée au burin dans ta rétine. C'est beau, c'est fort, c'est vibrant encore aujourd'hui (alors imagine à l'époque où c'est sorti, quand on ne faisait pas d'effets spéciaux par ordinateur !). Pour moi la saga des New Gods balaye les machins comme Star Wars (que j'aime beaucoup quand même, enfin la première trilogie du moins) ou le Seigneur des Anneaux. C'est clairement un cran au dessus, plus ambitieux, mieux construit et surtout porteur d'une vision extraordinaire. Kirby était un pionnier, il traçait des routes pour l'industrie du comics sans jamais regarder en arrière, en se remettant toujours en question. Sans parler de sa façon de traiter de problèmes existentiels et métaphysiques (Mister Miracle où l'art de traiter de la Mort) ou actuels (la jeunesse présente dans les aventures de Jimmy Olsen ou des Forever People). La lecture n'est jamais légère, Kirby a su laisser transparaitre ses problèmatiques et ses angoisses pour que le lecteur s'interroge, balèze pour un morceau de machin de culture populaire.

Actuellement DC réédite (en anglais puisque c'est une compagnie américaine, aucune chance pour qu'on voit ça traduit en France) l'intégralité du Fourth World dans l'ordre chronologique de parution à travers 4 gros volumes (des "omnibus") avec une restauration de la colorisation (et des préfaces qui ont la classe). Je viens de finir le premier (d'où l'article) et il me tarde de commander le second. Je connais l'histoire des New Gods grâce au volume édité par Bethy mais les trois autres séries m'étaient jusqu'à alors inconnues (Mister Miracle a été partiellement édité en France chez Vertige Graphic, cet album doit pouvoir encore se trouver en cherchant bien). Elles sont intéressantes à lire, ne serait-ce que pour le dessin de Kirby mais The New Gods est définitivement ma préférée. C'est un récit colossal, de la dimension des aventures d'Ulysse ou d'Héraclès (quand j'étais petit j'ai un vrai fan de mythologie grecque et je n'ai jamais retrouvé ce souffle épique ailleurs que dans la saga de Kirby). Ça fait rêver, tout simplement...

Pour la triste petite histoire, Jack Kirby est mort en 1994, il n'aura jamais touché un rond de royalties pour tous les personnages qu'il a créés, Marvel comme DC l'aura exploité jusqu'à la moëlle et faute de ventes satisfaisantes il n'aura pas pu finir l'histoire du Fourth World (je verrais ce qu'il en est dans le dernier des quatre volumes mais en tout cas The New Gods a bien une fin, et des plus excellentes qui plus est).